Date : 8 octobre 2024
Lorsqu'il est question de santé et sécurité au travail (SST), l'aspect « sécurité » est souvent au cœur des discussions. La majorité des Québécoises et des Québécois, qu'ils soient entrepreneurs, gestionnaires ou travailleurs, maîtrisent les principes de base de la sécurité au travail. On pense notamment aux risques liés aux chutes en hauteur, aux procédures de cadenassage, à l'utilisation d'équipements de protection individuelle, ainsi qu'aux programmes de prévention. Mais qu'en est-il des enjeux liés à la santé au travail ? Et que se passe-t-il lorsque l'on travaille en régions isolées, ce qui complexifie encore davantage ces enjeux ?
Avant d'aborder les défis et solutions spécifiques, il est important de bien définir ce que l’on entend par « régions isolées ». Chaque organisation gouvernementale peut avoir sa propre définition, que ce soit Revenu Québec ou la CNESST. Cette dernière décrit un lieu isolé comme « un endroit où il est impossible ou difficile pour un travailleur de demander directement de l’assistance ». Cela inclut, par exemple, l'absence de réseau cellulaire, un problème plus répandu au Québec qu’on ne le croit.
Dans notre contexte, nous nous appuierons sur la définition du Règlement sur les normes minimales de premiers secours et de premiers soins (R.L.R.Q., c. A-3.001, r. 10), qui stipule qu'un lieu est considéré isolé dès que l'on se trouve à plus de 30 minutes d’un centre de santé (hôpital, clinique, CLSC) ou d’un service médical d’urgence, comme une ambulance. Cela couvre une grande partie du territoire québécois, parfois même dans des zones moins éloignées qu’on pourrait l’imaginer.
Il est également crucial de bien comprendre ce que recouvre la notion de santé au travail. Elle englobe l’ensemble des mesures et pratiques destinées à protéger la santé physique et mentale des travailleurs sur leur lieu de travail. Cela inclut la prévention des maladies professionnelles, la gestion du stress et de l’épuisement, ainsi que la promotion du bien-être global.
La santé au travail va au-delà de la simple sécurité physique ; elle prend en compte des éléments comme l'ergonomie, l'environnement de travail et le soutien psychologique, afin de garantir un cadre professionnel sain, sécuritaire et productif pour tous.
Les risques supplémentaires en régions isolées
- Accès limité aux soins médicaux : les risques liés à la distance des hôpitaux ou centres de santé sont accrus. Il est donc primordial, en tant que gestionnaire, de s’assurer que des secouristes en milieu de travail soient présents. Cependant, même si cela respecte le règlement, cela ne suffit pas à remplir l’obligation de diligence raisonnable de l'employeur. La négligence en matière de SST expose l'employeur, à la fois en tant qu'organisation et à titre personnel, à des poursuites civiles, voire criminelles.
- Impacts psychologiques : travailler isolé, loin des communautés, des proches et des activités sociales, peut engendrer des défis de santé mentale, tels que l'épuisement professionnel, la dépression ou l'anxiété. Il n'est pas rare que les professionnels de la santé en régions isolées rencontrent ces problématiques.
- Conditions environnementales : les régions isolées sont souvent soumises à des conditions météorologiques plus extrêmes, qui peuvent entraver les évacuations d’urgence et l'arrivée des secours. De plus, les terrains accidentés augmentent les risques de blessures et compliquent les évacuations.
Comment améliorer la prévention en SST dans ce contexte ?
Voici quelques étapes pratiques pour renforcer la prise en charge de la SST en régions isolées :
- Connaître l’environnement de travail : trop souvent, les gestionnaires ou conseillers en SST n'ont jamais mis les pieds sur le terrain où travaillent les employés. Il est crucial de comprendre l’environnement, d'analyser la météo, les cartes topographiques et le contexte pour permettre une évaluation des risques réaliste.
- Effectuer une analyse exhaustive des risques : travailler en régions isolées ne ressemble en rien au travail en ville. Il est important de tenir compte de risques spécifiques, tels que ceux liés à la faune, aux infections, à la gestion des aliments, aux conditions météorologiques.
- Évaluer la condition médicale des travailleurs : avant d’envoyer un employé en région isolée, assurez-vous qu’il a fait l’objet d’une évaluation médicale approfondie. Des évacuations d’urgence peuvent être nécessaires à cause de conditions préexistantes mal contrôlées, entraînant des coûts élevés et augmentant les risques pour les autres travailleurs.
- Rédiger des plans d’urgence adaptés et les tester ! Il arrive fréquemment de voir des plans d’urgence trop génériques, rédigés à distance, qui ne prennent pas en compte la réalité du terrain (comme suggérer d'appeler le 911, alors qu'il n'y a pas de réseau cellulaire). Il est essentiel d’élaborer des plans adaptés et de les tester au travers de simulations réalistes.
- Établir un réseau de collaborateurs locaux : en régions isolées, il est vital de bâtir un réseau de soutien. Avez-vous pris contact avec le centre de santé local ou les autres entreprises des environs qui pourraient vous venir en aide en cas d’urgence ?
Le devoir de diligence raisonnable et de prudence de l’employeur
La notion de diligence raisonnable est un principe clé dans la gestion de la santé et sécurité au travail (SST), imposant aux employeurs une obligation proactive de prévenir les accidents et de protéger la santé des travailleurs. Du point de vue de la SST, cela signifie que l'employeur doit prendre toutes les mesures raisonnablement nécessaires pour identifier, évaluer et minimiser les risques liés au travail, particulièrement dans des contextes à haut risque comme les régions isolées. Cela inclut l’évaluation des dangers, la mise en place de formations adaptées, et la fourniture d’équipements de protection adéquats.
En parallèle, le Code criminel, depuis la modification apportée par le projet de loi C-45, dispose que les employeurs, dirigeants et superviseurs peuvent être tenus responsables pénalement en cas de négligence grave ayant entraîné la blessure ou la mort d'un employé. Cela signifie que l’employeur a, non seulement une obligation civile, mais aussi criminelle de veiller à la sécurité de ses employés. En régions isolées, où les conditions de travail sont souvent plus dangereuses, l’obligation de diligence est encore plus importante. Un défaut de prudence peut mener à des accusations criminelles si un employeur omet de prendre les précautions nécessaires pour prévenir des situations dangereuses, exposant ainsi les travailleurs à des risques évitables
Conclusion
La santé et sécurité au travail (SST) en régions isolées exige une attention accrue et des mesures adaptées aux défis uniques de ces environnements. Alors que la sécurité est souvent bien maîtrisée, les aspects liés à la santé, tant physique que mentale, nécessitent une prise de conscience plus profonde, surtout lorsque les travailleurs sont éloignés des ressources médicales et des soutiens habituels. Les employeurs ont la responsabilité de comprendre les spécificités de ces contextes et d’appliquer des stratégies adaptées, telles que l’analyse des risques, la formation, et l’élaboration de plans d’urgence réalistes.
Le rôle de l'employeur, sous l'angle de la diligence raisonnable, dépasse la simple conformité aux règlements. Il implique une vigilance proactive pour prévenir non seulement les blessures physiques, mais aussi les impacts psychologiques liés à l'isolement. Cette responsabilité est encadrée non seulement par les lois en matière de SST, mais également par le Code criminel, qui impose des conséquences graves en cas de négligence.
En somme, une approche globale qui intègre la prévention des risques, la protection de la santé mentale et physique, et la création de réseaux de soutien est essentielle pour garantir un environnement de travail sécuritaire et sain, même dans les conditions les plus extrêmes. Il en va non seulement du respect des obligations légales, mais aussi de la protection et du bien-être des travailleurs, qui restent au cœur de toute organisation responsable.
Lien vers l'article sur le site de l'Ordre des administrateurs agréés du Québec
À propos de l'auteur
Le présent article est rédigé par Philippe-Olivier Belcourt, vice-président et chef des opérations chez SIRIUSMEDx. Philippe-Olivier est également consultant en gestion ainsi qu'en santé et sécurité du travail auprès de différentes organisations publiques et privés. Il oeuvre en parallèle comme chargé de cours et formateur en milieu de travail dans le domaine de la gestion et de la SST.
La santé et sécurité du travail en régions isolées : un défi différent